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Techno et Musique mars 2004

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Techno et Musique mars 2004 Empty Techno et Musique mars 2004

Message par Invité Mer 23 Mar - 16:17

Cet article introduit une réflexion autour de la musique Techno en soulignant volontairement ce qui la sépare des musiques "savantes".

L'extrême pluralité stylistique du paysage musical contemporain témoigne d'un large éventail de sensibilités antagonistes. Aux tendances cloisonnantes s'opposent les tendances fusionnantes et il est bien difficile de démêler les fils des influences tissant le paysage musical actuel. Le discours de compositeurs tels que Pierre Henry, Steve Reich, Pierre Boulez et Karl Heinz Stockhausen comparé avec ceux des musiciens Techno s'avère très significatif. La très nette incompréhension indique la persistance de clivages autour des concepts de répétition, de langage et du rapport à la technologie. L'interrogation autour d'une légitimité culturelle et en particulier la question de la modernité continue de se profiler derrière les discours de rejet ou d'ouverture.

Quelques précisions sur la terminologie employée ici sont nécessaires. Le terme savant me gène pour deux raisons : cela signifie qu'il existe des musiques non-savantes, or le savoir dont il est question n'est qu'un type de savoir parmi d'autres. "Savant" connote également un rapport à la science, soit un type de recherche expérimentale et logique étranger à la création artistique d'une partie non négligeable des compositeurs regroupé sous ce terme. L'expression musique spéculative me semble plus appropriée. Mais le plus important dans la classification que l'on ne peut d'ailleurs pas éviter, c'est l'itinéraire du compositeur. Le schéma d'apprentissage de la musique s'avère très déterminant quant au développement d'un savoir-faire compositionnel propre aux musiciens Techno, lequel diffère radicalement d'avec celui des musiciens issus d'une école de formation théorique, baptisée ici "académie". Je propose une nouvelle expression pour remplacer "musique contemporaine", aujourd'hui complètement faussée. Ainsi les musiques spectrales, électroacoustiques, post-sérielles, néo-tonales, concrètes, répétitives seront regroupées sous l'expression "musiques exacadémiques", le suffixe "ex" signifiant "qui vient de" parce que les compositeurs ont été formés dans une tradition académique à partir de laquelle ils ont formé leurs propres outils et leurs propres langages. Les compositeurs de musique exacadémique ne sont que très rarement autodidactes et symétriquement, les compositeurs Techno n'ont que très exceptionnellement fréquenté les conservatoires. À l'évidence, le type de formation marque très profondément le langage musical. Non que le fossé soit infranchissable, au contraire, mais cette réalité est un élément très important à prendre en compte pour comprendre en particulier les méthodes de composition, le rapport à la technique et à l'histoire.



Définition de la musique Techno

La Techno est une musique de danse instrumentale basée principalement ou exclusivement sur un instrumentarium électronique. Elle est caractérisée par la présence systématique d'un "pied" (c'est le nom que lui donnent les musiciens Techno) c'est à dire la répétition régulière d'une pulsation. Ce son de registre très grave structure le discours musical sous la forme d'une grille binaire aussi bien au niveau micro que macro structurel. La mesure est systématiquement en 4 /4 et les ponctuations rythmiques du discours interviennent sur des groupes de mesure multiples du chiffre 4. Les divisions ternaires sont très exceptionnelles et on ne les trouve que dans un sous-genre appelé Trance ou Goa. Un morceau de musique Techno est composé de plusieurs pistes d'instruments jouant simultanément sur le modèle suivant : piste du pied, piste de percussions, piste de ligne de basse, piste de nappes synthétiques, et piste d'échantillons sonores divers. Ce n'est qu'un prototype, un instrument peut-être distribué sur plusieurs pistes et inversement plusieurs instruments peuvent être mélangés sur une seule. L'élément primordial et essentiel de la Techno est le pied. En principe, et pourvu qu'il respecte la hiérarchie dominée par le pied, n'importe quel type de son peut s'intégrer au discours Techno, ce qui en fait une musique tout particulièrement ouverte, au même titre que le Rap. À la différence de ce dernier, cette ouverture est davantage exploitée pour intégrer des sons aussi variés que des échantillons d'orchestres, des instruments acoustiques ou électriquement amplifiés, des voix, des timbres parfaitement abstraits comme des sons concrets.

Pour saisir la spécificité de la musique Techno, il convient de mentionner les conditions particulières de production et de diffusion, ce que j'appelle l'itinéraire du son Techno. En restant schématique parce que la réalité recouvre une multitude de situations et de contextes, on peut décrire l'itinéraire du son Techno ainsi : la musique est tout d'abord produite dans un "home studio" par un musicien ou un petit groupe de musicien rarement supérieur à 3 à l'aide d'instruments électroniques tels que l'échantillonneur, synthétiseur, séquenceur, spatialisateur, effets, table de mixage et support de stockage. Tous ces appareils sont généralement reliés entre eux par le système MIDI qui permet une synchronisation et l'échange d'information. Une fois achevés, les morceaux sont masterisés puis pressés sur disques vinyles. Les disques sont distribués aux DJs (disque-jockeys) à travers le monde par le biais d'un réseau de disquaires spécialisés. Les DJs jouent ces disques en public dans un cadre festif : en boite de nuit, ou en rave. Les DJs ne sont pas forcément compositeurs eux-même ni l'inverse. Par contre, certains compositeurs jouent parfois leurs morceaux en direct à l'aide de tout ou une partie de leur instrumentarium sur le lieu de la fête. On appelle ceci un live-act dans le jargon Techno.

Une fête rythmée par des machines donne à vivre une communion momentanée mais rassurante avec la technologie et calme une certaine angoisse prométhéenne. Symboliquement, la machine sort d'une fonction simplement utilitaire par son association intime avec la création ; la machine offre du plaisir, améliore son image, contribuant à donner une vision optimiste d'un avenir dont chacun sait qu'il leur réservera une place sans cesse plus importante. La Techno se vit dans la fête, mais tend après plus de 10 ans d'existence à s'en affranchir et se développe dans de nombreuses directions. On écoute de la Techno chez soi pour ramener un peu de l'esprit de la fête dans le quotidien et rythmer des activités triviales.

La musique Techno s'est développée dans un cadre de diffusion festive spécifique (celui du club ou boite de nuit) et n'en sortait que marginalement jusqu'à l'explosion du mouvement des raves en Angleterre à la fin des années 80. Désormais, il existe des radios diffusant de la Techno, mais généralement pas aux heures de grande écoute. Les amateurs en écoutent chez eux par l'intermédiaire de disques compacts (qui ne fixent qu'une infime part de la production en terme de références), ou de cassettes audio de mixs. La définition de la Techno que j'utilise dans cet article ne recouvre pas exactement celle de l'industrie du disque, elle-même répercutée par les grand distributeurs et les mass médias, qui est beaucoup plus large, incluant au gré des intérêts commerciaux la House, la Dance (musiques vocales), ni la Jungle (aux rythmes plus complexes), ni l'Ambient (sans pulsation), ni enfin ce qu'on appelle par défaut l'Electronica, sorte de terme fourre-tout pour les musiques électroniques ni exacadémiques et ni dansantes. La définition que je donne à la Techno tient dans un cadre fixé sur des critères musicologiques précis, ce qui explique le décalage avec les définitions usuelles du terme (celles des musiciens, des vendeurs ou des journalistes) qui répondent à d'autres problématiques.

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Message par Invité Mer 23 Mar - 16:31

L'afrofuturisme - sublimation de la technologie

C'est la ville de Detroit, aux état-unis, qui a donné naissance à la musique Techno vers 1985. Une ville jadis fleuron de l'industrie automobile puis devenue une vaste friche industrielle. Motorcity était son surnom. La ville a aussi un passé musical très riche puisqu'elle accueilli des grands noms du blues tels que John Lee Hooker, jazz : Donald Byrd et Sonny Stitt, soul : Aretha Franklin, Marvin Gaye, et surtout George Clinton et ses groupes Funkadelic et Parliament. Clinton était déjà totalement impliqué dans les instruments électroniques dès la fin des années 60, à la source d'un mouvement appelé Afrofuturism, dont le principe était l'émancipation des noirs et de leur culture par la création d'une avant-garde artistique, laquelle rejetait totalement le cliché blanc associant la musique noire à un passéisme focalisé sur une recherche perpétuelle des racines africaines.

L'Afrofuturisme et sa fascination pour les technologies de pointe peuvent s'interprêter comme une réappropriation symbolique du pouvoir conféré par la possession de la technologie. Une explication sociologique sous-tend le rapport à l'Afrofuturisme. Detroit, ravagé par la récession et le chômage, au lieu de se lamenter sur le riche passé industriel, enjambe le morne présent pour sauter vers un futur entrevu grâce aux nouvelles technologies. Les machines incarnent à Detroit la condition nécessaire à l'émancipation, et non un simple signe du progrès. Cette situation est pour le moins paradoxale puisque les évolutions technologiques ont dans le passé causé beaucoup de malheurs dans cette ville. Lorsque les usines automobiles tournaient à plein régime, le travail au contact des machines s'effectuait dans des conditions difficiles. On peut imaginer que les ouvriers aient développé un lien affectif complexe avec cet environnement, un lien qui a rejailli sur leurs héritiers. Lorsque les usines ont fermé en raison de la crise économique et que la reconversion a complètement échouée, les machines ont peut-être perdu leur image négative pour devenir les symboles d'une époque de bien-être disparue.

Les créateurs de la Techno se sont essentiellement nourris des musiques noires américaines populaires dans les années 70 (Rythm'n'Blues, Funk, voire le Disco) mais aussi d'une certaine musique électronique européenne, que l'on appelle Electropop, avec au premier plan le groupe allemand Kraftwerk. Il est important de noter que les musiciens qui ont créé le mouvement Techno ne connaissaient pas les oeuvres de musique exacadémique, que ce soit la musique concrète de Pierre Henry ou les minimalistes américains. S'il y a eu transmission, c'est indirectement par l'intermédiaire du groupe allemand Kraftwerk. Plusieurs de ses membres étaient passés par le conservatoire et connaissaient les avant-gardes européennes. Mais il est bien difficile de le percevoir à travers l'écoute de leur musique. Il faut bien garder à l'esprit cette ignorance réciproque entre compositeurs Techno et exacadémiques. Kraftwerk cherchait ironiquement à produire des chansons pop "parfaites" mais décalées par rapport au format commercial dominant. C'est une musique électronique froide, robotique et minimale dont la forme correspond au format des chansons pop (couplet / refrain). Le caractère deshumanisé des voix ajoutait une dimension futuriste non dénuée de distance et d'humour. Le son purement électronique et synthétique à la fin des années 70 surprenait l'oreille par son étrangeté, due en réalité au sons infiniment plus pauvres en couleur que les sons acoustiques. Entre parenthèse, tout le contraire de ce qu'appelait Russolo de ses voeux lorsqu'il prônait l'utilisation de machines et l'abandon des instruments d'orchestres aux "sons anémiés".

La Techno commença par être futuriste, mais d'un futurisme qui ne doit pas grand chose à Marinetti. Juan Atkins, considéré par tous comme le fondateur du son Techno dès le début des années 80, lisait avidement de la science-fiction, les essais du penseur Alvin Toffler, sorte de Jacques Attali américain très versé dans la futurologie, et explique que la ville de Detroit a une profonde influence sur lui et ses confrères également originaires de cette ville, au destin si étroitement lié aux technologies, qu'elles soient destructrices ou bénéfiques.



Instabilité et péremption des technologies

À tout moment, le compositeur est confronté à des choix cruciaux sur des technologies et des matériels concurrents. Les évolutions technologiques associés aux pressions commerciales poussent les musiciens à renouveler leurs instruments à un rythme de plus en plus serré. Dans un article datant de 851 , Jean-Claude Risset met en garde les compositeurs du risque d'utiliser une technologie périssable et prend comme exemple une oeuvre de Beethoven "La bataille de Vittoria" écrite pour le "Panharmonicon de Maelzel", ou encore une oeuvre de Ferrari (qu'il ne nomme pas) et qui est inexécutable aujourd'hui parce qu'elle nécessite un dispositif très rapidement abandonné sur les magnétophones. Le risque d'être tributaire d'une technologie rapidement périmée menace un certain nombre d'oeuvres contemporaines, en particulier celles qui ont été conçues pour de très lourds dispositifs électroniques comme ceux de l'IRCAM dans les années 80.

Il est intéressant de comparer ces déboires avec ceux que rencontrent les musiciens Techno. Le caractère plus accessible de cette musique lui confère une certaine force par rapport à la technologie et en particulier face au commerce. Les musiciens Techno ont un usage un peu paradoxal des technologies : d'un côté ils utilisent les derniers développement informatiques matériels et logiciels, de l'autre ils montrent un très grand attachement à certains instruments électroniques emblématiques pour leurs sonorités typiques et leur ergonomie propice au jeu en temps réel. Les exemples les plus significatifs sont les boites à rythme de la marque Roland TR 808 et 909 ainsi que la Bassline TB 303. Ces instruments analogiques commercialisés au début des années 80 et destinés à accompagner un guitariste seul, n'ont connu à leur lancement qu'un médiocre succès, puis ont brusquement connu une vogue déclenchée par l'essor du mouvement Techno, alors que la firme Roland avait cessé leur production. Un renversement de tendance qui a désorienté les fabriquants, surtout après le tournant audionumérique. Les composants analogiques ont en effet pour la plupart disparu des chaînes de production, soit sont devenus beaucoup plus coûteux à produire que par le passé. Pour pallier à ce problème, les fabriquants proposent avec un succès limité des émulateurs numériques des synthétiseurs originaux.

L'autre tournant technologique problématique concerne le support vinyle, abandonné pour le disque compact avec profit par les multinationales du disque. Le coût de production d'un disque compact est très inférieur à celui d'un vinyle donc le profit réalisé est bien supérieur. Mais les DJs Techno (comme les DJs Rap) souhaitent eux mixer des platines vinyles, entraînant un mouvement contraire à celui de l'évolution technologique décidée par les majors. L'économie qui s'est reconstituée autour du vinyle concerne presque exclusivement les DJs, donc une population très réduite par rapport au public de ces musiques. Cette économie reste en marge et largement indépendante des circuits dominants de l'industrie du disque. La technologie a priori obsolète du vinyle a perduré non pas par simple fétichisme mais parce qu'il n'est pas possible de jouer le disque compact comme le vinyle.

L'instrument voit son statut changer radicalement. Le musicien voit successivement ses instruments devenir inutilisables. Si une partie des compositeur se fait un devoir d'exploiter les nouveautés dès qu'elles apparaissent, parfois un véritable fétichisme renverse les valeurs, appuyé sur le rejet du consumérisme suscité par les facteurs d'instruments. L'usage des technologies est pris dans le champ des sensibilités sociales. Certains ne sont pas loin de penser que parmi les nouvelles technologies il en existe de factices ou pire, des technologies qui blanchissent le son, le rendent trop "propre". Dans le jargon des journalistes, cela s'appelle le "lo-fi" de low fidelity, par opposition au hi-fi. Si ces expressions signifient pour le grand public supports et moyens de diffusion, les musiciens les ont repris pour en faire des esthétiques contradictoires

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Message par Invité Mer 23 Mar - 16:32

Nouvelles technologies et compétence

Lorsque Pierre Boulez claqua la porte du studio de l'ORTF créé par Schaeffer, il reprochait à ce dernier son bricolage empirique. Boulez tient pour condition de l'utilisation d'une technique qu'elle soit préalablement maîtrisée, dans une logique toute cartésienne de domination de la nature par l'homme. D'où un antagonisme qui perdure jusqu'à aujourd'hui entre le GRM et l'IRCAM. Le bricolage empirique dont parlait Boulez correspondait en réalité aux premières esquisses du projet expérimental de Schaeffer consistant à défricher un nouveau domaine d'expression pour constituer un vaste cadre théorique associé au développement d'une théorie. Rien de tel dans la Techno, musique sans théorie ni projet spéculatif verbalement formulé et dont l'approche des instruments et du son correspond pour le coup parfaitement à l'expression de Pierre Boulez : "bricolage empirique".

Les musiciens Techno utilisent des outils grand public car ils sont accessibles à la fois par leur coût modeste et par leur commodité d'utilisation. Les synthétiseurs, échantillonneurs, tables de mixages et ordinateurs du Home-studio ont parfois des ressources très étendues, mais il est possible de les utiliser sans avoir suivi préalablement de formation poussée. À de rares exceptions comme Aphex Twin et Oval, qui vont jusqu'à concevoir ou développer leurs propres logiciels de manière autonome, les musiciens Techno restent en deçà des possibilités des machines. La stratégie la plus courante chez les musiciens inventifs consiste à pratiquer le détournement. Les instruments grand public sont toujours orientés pour reproduire platement les sonorités en vogue. Pour trouver un son propre, le musicien cherche diverses combinaisons et finit par trouver un espace où la machine se comporte de manière imprévisible, soit par un phénomène de distorsion du son, soit parce qu'elle présente des défauts, ce qui est loin d'être exceptionnel.

Le surgissement de l'instrumentarium électronique a bouleversé le geste musical d'un point de vue tant spectaculaire que sur celui de la compétence. Le jeu instrumental a largement perdu la dimension spectaculaire qu'avait par exemple la guitare dans le concert rock. La maîtrise technique en temps réel de l'instrument (virtuosité) n'est plus exhibée. Le musicien Techno occupe une position relativement discrète lors des raves. La compétence technique par rapport au jeu instrumental ne répond plus au mêmes impératifs en raison de l'adaptation encore réduite des instruments électroniques au jeu en temps réel. La compétence reste déterminante lors de la composition, mais n'a plus aucun rapport avec la définition traditionnelle de la virtuosité.

Le savoir-faire nécessaire (temps et aide) pour un néophyte afin d'atteindre le niveau d'un groupe de pop-rock correspond à celui nécessaire pour une maîtrise des instruments du home-studio. Au bout de trois mois, quelqu'un qui n'a jamais joué de guitare peut rejouer une grande partie du répertoire rock (les accords, pas les soli). Ce musicien fraîchement formé va être capable de jouer en concert avec un groupe. De la même manière, un apprenti DJ va en trois mois être capable de caler en rythme quelques disques lors d'une soirée. Tout connaisseur sait évaluer la qualité d'un mix et décèlera la fraîcheur de l'apprentissage. Mais en définitive, ce qui est possible dans la musique pop et dans la Techno (être opérationnel en trois mois pour un non musicien) est strictement impossible dans l'univers du jazz et de la musique académique.

La non-virtuosité s'affirme chez certain musiciens comme une valeur en soi, revendiquée comme telle en réaction à la débauche de technologie et d'effets déployée par d'autres, quel que soit le style de musique. Ce clivage s'apparente au courant Punk de la fin des années 70 rejetant la mode des très longs soli de guitares dans le rock, ou encore à la même époque Ornette Coleman se mettant brusquement à jouer des instruments qu'il ne maîtrise pas alors que la vogue est à l'ultra-virtuosité du jazz-rock. Dans la musique électronique, une illustration de la virtuosité se manifeste dans la volonté d'avoir un son de très bonne qualité, très "propre", ce qui ne suppose pas seulement de disposer de matériel coûteux, mais également de le maîtriser. La salissure du son se cultive comme son contraire. Elle peut signifier autre chose qu'une simple incompétence : un rejet de la conception dominante du beau son2

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Message par Invité Mer 23 Mar - 16:33

Le malentendu

Après les divergences observées quant à l'utilisation de la technologie viennent les discours comparés. À notre connaissance il n'existe qu'une tentative aboutie de rencontre entre musiciens Techno et exacadémique au sein d'une oeuvre. Le compositeur René Koering a composé une pièce symphonique à partir de musiques créées par deux musiciens Techno : Manu le Malin et Torgull. La requête de René Koering était simple : totale liberté, "mais pas quarante-cinq minutes de binaire"3 . Il est symptomatique que cette requête impérieuse porte sur la répétition régulière de la pulsation. C'est priver la Techno de son l'élément primordial. Ainsi castré, le résultat ne peut nullement être qualifié de Techno, abstraction faite de tout jugement qualitatif. Le pied Techno constitue l'élément inconciliable, gênant, inacceptable, mais c'est le coeur de la Techno. Cette oeuvre "Hier, aujourd'hui et demain" fut créée cet été à Montpellier. Loin d'être une synthèse, l'oeuvre montre en revanche qu'il est possible d'associer des musiciens Techno à des projets exacadémiques.

Deux tendances dominent les discours sur les rapports entre musique exacadémique et Techno. L'un, à tendance universaliste et idéaliste voudrait rapprocher la musique Techno des musiques exacadémiques (en particulier la musique minimale américaine, la musique concrète et électroacoustique, voire le jazz, qui a acquis ces dernières décennies un statut social proche de celle de la musique écrite, musique à haut capital culturel). Pour ce faire, ses partisans mettent l'accent sur l'antériorité des musiques électroacoustiques qui se seraient démocratisées par un processus logique parallèle à celui qui gouverne la diffusion des technologies. Dans le cas des musiques répétitives, la prégnance de la répétition tient lieu d'argument suprême, tandis que pour le jazz, l'argument ethnique (également appliqué du jazz vers le Rap) fait office de preuve.

Sous l'influence de cette tendance, les musiciens Techno (européens pour la plupart) sont incités à découvrir, si ce n'est déjà fait, les travaux de leurs "savants" prédécesseurs. Des projets collatéraux initiés par les projets directeurs artistiques de maisons de disques voient le jour, tels les deux albums de remixes en forme d'hommages à Pierre Henry et Steve Reich

Il est symptomatique que Pierre Henry soit surtout cité par les musiciens Techno pour son "psyché rock"4 , une musique composée avec Michel Colombier pour le spectacle "messe pour le temps présent". Ce fut un véritable succès commercial, fait inédit dans la musique électroacoustique. Or il qualifie cette oeuvre de tout à fait anecdotique dans son oeuvre. La musique est structurée comme un morceau de rock, complètement décalée par rapport aux oeuvres qu'il composait à l'époque. Il qualifie cette expérience de "dérive marrante". Il y a quelque chose de paradoxal dans le fait que Pierre Henry soit connu des musiciens Techno pour son imitation à caractère parodique de la musique rock.

La même aventure est arrivée à Steve Reich, dont plusieurs oeuvres se sont vues remixées par des musiciens Techno5 . Ce n'est pas sans provoquer quelques polémique contre le mélange des genres. Elisabeth Schwind consacre un article à ce problème :

"(...) Reich passé à la moulinette des disc jockeys et des compositeurs électroniciens. Certains en auront froid dans le dos. Aujourd'hui, ce n'est que Steve Reich, mais de qui sera-ce le tour demain ? Mozart, Beethoven voire Boulez, Lachenmann ? Structure I sur une séquence de basse du Roland TB 303, le nec plus ultra de l'équipement Techno ? Je n'ose y songer."6

Le besoin de reconnaissance de certains musiciens Techno se traduit à l'occasion d'entretiens avec la presse par la citation de noms prestigieux comme Boulez7 , Stockhausen ou Pierre Henry. Or ces derniers ont déclaré ne pas apprécier la Techno, voire lui dénient une valeur esthétique. Il n'est pas aisé de se faire accepter dans le sérail des musiques légitimée par les élites culturelles du monde occidental. Le clivage se situe à la fois en termes esthétiques, sociaux, culturel, et probablement encore davantage d'ordre générationnel. La fusion des genres a quelque chose de sensationnel et de séduisant, propice à une large médiatisation, au bénéfice bien entendu des maisons de disques. Ce phénomène de crossover doit cependant être ramené à ce qu'il est : un courant ultra-minoritaire.

En réaction à cet éclectisme candide se construit un discours plus traditionnel motivé par le rejet esthétique et fondé sur une conception essentialiste de la "musique savante". La Techno fait fréquemment l'objet de commentaires négatifs de la part des compositeurs de musique exacadémique, comme d'ailleurs par les amateurs de musique classique, jazz voire même de musique rock. Si un rejet radical est plus rare du côté des musiciens Techno, la plupart ne connaissent ou n'écoutent pas du tout de musique classique et encore moins de musique exacadémique. On ne remarque pas de volonté de s'affirmer contre la musique classique, puisque c'est une musique qu'ils connaissent peu et qui les indiffère le plus souvent.

Dans un entretien récemment accordé à Epok, revue de la Fnac grosse entreprise de marchandisation de la culture, Boulez accuse la Techno de n'être qu'une "pseudo rébellion totalement récupérée par le circuit marchand"8 . Mais que fait-il lui même sinon assurer la promotion de ses derniers enregistrements ? Il accuse la Techno de fascisme en déclarant que "c'est une musique qui aurait pu être adoptée par Hitler"9 . Certes, mais le régime nazi a surtout utilisé Wagner, un compositeur que Boulez admire et a enregistré. Toute musique peut-être instrumentalisée par le pouvoir politique, la Techno (le régime serbe aurait organisé des raves et des concerts rock), comme la musique contemporaine. Ainsi la mairie de Paris soutient fortement les projets de Pierre Boulez pour s'assurer une bonne image auprès des élites.

Le discours de Pierre Boulez sur la Techno est très virulent et excessif, mais ce qui est significatif, c'est qu'il n'hésite pas à parler d'une musique qu'il ne connaît qu'à travers les mass-médias. Son discours fait et a toujours fait beaucoup de bruit : c'est un personnage haut en couleur et son prestige est considérable. Le rapport à la musique passe par des médiations complexes et des représentations caricaturales. Comme Finkielkraut l'avait fait avec le rock dans "la défaite de la pensée"10 , Boulez relance le mythe du retour de la barbarie associé au panurgisme des amateurs de Techno. Le barbare c'est celui qui parle mal sa propre langue, celui qui balbutie. Stockhausen a l'impression en écoutant la Techno d'entendre quelqu'un qui bégaie11 . La boucle, la répétition régulière semble en effet une déconstruction du langage, un moyen de casser la narration en miroir du sérialisme qui voulait casser la répétition.

La rave, pour Boulez, se complaît dans la soumission et le panurgisme. Tout le monde danse au pas de l'oie sur un "martèlement imbécile qui semble dire, vous êtes des esclaves et vous resterez des esclaves"12 . Il y a indubitablement une célébration de la puissance du son, mais on peut renverser la comparaison. Assis dans un fauteuil et totalement interdit de mouvement, le public qui assiste au concert de musique classique et exacadémique accepte une soumission encore plus totale au son. Associer le fascisme qui est une système politique à la musique de danse et aux mouvements synchrones des corps, révèle une incompréhension flagrante de l'homme comme être social, ainsi qu'un ethnocentrisme complètement périmé.

La Techno véhicule des valeurs opposées à celles des lumières et du Beau kantien (plaisir pur dégagé de toute sensualité, notions de sacré, de pureté, d'élaboration du matériau. La Techno fusionne la musique et la fête à travers la transgression des valeurs musicales dominantes, auxquelles elle substitue la catharsis, l'immédiateté et la brutalité du son. Par contre, si l'on se place à l'intérieur de l'esthétique Techno, du point de vue du Technophile, on est capable de discriminer toute une série de sensibilités distinctes voire opposées. Les notions kantiennes y ont leur place, notamment en ce qui concerne une certaine Techno américaine, celle de Detroit, qui se revendique comme "pure" parce qu'elle est à l'origine du mouvement et élaborée en référence au mouvement afrofuturiste.

La défiance mutuelle ne manquera pas de se réduire avec le temps, surtout lorsqu'une nouvelle génération de compositeurs exacadémiques, qui n'aura pas pu rester complètement à l'écart du phénomène Techno, prendra la parole. Les musiques académiques se sont plus souvent inspirées des musiques traditionnelles que l'inverse. Pour la Techno, nul doute que l'influence va rejaillir entre les portées mais il est un peu tôt pour imaginer la forme qu'elle prendra. La mode du crossover entre musique exacadémique et variété ne touche pas à proprement les musiciens de Techno, mais des musiques électroniques plus adaptées aux formats commerciaux de la radio. À l'heure actuelle, l'écart semble trop important entre les valeurs sophistiquées de l'exacadémie et la brutale linéarité de la Techno. La répétition régulière de la pulsation fait fuir les partisans des matériaux richement élaborés construits contre la répétition. Trop attachée au corps et à la fonction festive pour qu'un lien se tisse avec l'univers cérébral des musiques académiques. L'opposition schématique entre un art dionysiaque et un art apollinien se délitera au fur et à mesure que les musicien de Techno les plus doués trouveront le moyen de s'affranchir du carcan rigide de la répétition régulière de la pulsation.




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